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Jeudi 19 octobre

CSRD : Les enjeux de la double matérialité

CSRD : Les enjeux de la double matérialité
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L’acte délégué de la CSRD publié le 31 juillet 2023 introduit le concept de double matérialité. Souvent qualifiée d’avancée majeure en vue de renforcer la transparence sur l’impact réel des entreprises, l’application de la double matérialité aux entreprises européennes de plus de 250 salariés constitue un préalable nécessaire à l’alignement des entreprises sur les objectifs de l’Accord de Paris. Sous le feu des projecteurs ces derniers temps, Impact France vous dit tout sur l’introduction de ce concept clef pour la transition comportementale des entreprises.

La double matérialité : une conjonction de la matérialité financière et de la matérialité d’impact

La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), adoptée en novembre 2022 par l’Union européenne, va progressivement imposer à plus de 50 000 entreprises la publication d’un reporting de durabilité. Introduite dans l’acte délégué de la CSRD (adopté le 31 juillet 2023), l’analyse de double matérialité est au cœur de ce nouvel exercice de reporting ESG.

La double matérialité correspond à la conjonction entre deux types de matérialité :

  • La matérialité financière (dite aussi matérialité simple) : qui correspond à l’impact de l’environnement économique, social et naturel sur les performances de l’entreprise.
  • La matérialité d’impact : qui correspond à l’impact des activités de l’entreprise sur son environnement économique, social et naturel.

👉Un indicateur (ex : la pollution) est dit « matériel » lorsque les activités de l’entreprise l’impactent et/ou lorsque cet indicateur a un impact sur les performances de cette même entreprise.

L’évaluation de la matérialité par l’entreprise : un enjeu clé et un objet de controverses

Prévue par l’acte délégué de la CSRD, cette auto-évaluation suppose que l’entreprise ne communiquera un indicateur que si elle estime qu’il peut avoir un impact sur sa performance et/ou si son activité peut avoir un impact sur cet indicateur.

Selon la Commission : cette mesure devrait entrainer une réduction de la charge pour les entreprises et garantir que les normes soient appliquées de manière proportionnée.

Cette analyse permettra, selon Eurosif, aux entreprises d’omettre des parties entières de leurs informations sur le développement durable.

Selon l’ONG Finance Watch, le règlement sur la publication d’informations de durabilité dans le secteur des services financiers (plus communément connu sous l’acronyme SFDR) obligeant les institutions financières à capter des informations sur les émissions de gaz à effet de serre des sociétés dans lesquelles elles investissent, ce reporting pourrait être contraint si certaines de ces sociétés omettent des indicateurs (ex : la « pollution de l’air »).

➡️ Pour pallier à ces risques, la Commission européenne a précisé que :

  • Si une entreprise conclut que le changement climatique n’est pas matériel, elle devra fournir une explication détaillée des conclusions de son évaluation de la matérialité.
  • Si une entreprise conclut qu’un point de donnée dérivant du SFDR n’est pas matériel, elle devra explicitement l’indiquer.

Les défenseurs d’un reporting exigeant regrettent que cette « explication détaillée » ne concernent pas, au même titre, la biodiversité, puisque comme l’expliquent de nombreux spécialistes, et notamment Jean-Marc Jancovici, il n’existe « pas une activité humaine qui ne dépende de la biodiversité et lui porte atteinte » : celle-ci est donc « matérielle » par nature.

Les normes de l’ISSB : deux différences majeures avec les normes ESRS de la CSRD

Depuis plusieurs années, l’Europe, à travers la NFRD (Non-Financial Reporting Directive, ancêtre de la CSRD) puis la CSRD, a accéléré en direction d'une normalisation des informations de durabilité. Ayant fait le choix de développer ses propres normes au même titre que les Etats-Unis, l’Union européenne doit cependant faire face à la concurrence internationale. Principal concurrent, l’ISSB (International Sustainability Standards Board), bras armé de la IFRS Foundation créée en 2021 avec l’objectif d'élaborer un jeu de normes internationales de référence pour la publication d'informations sur les risques et les opportunités liés à la durabilité des entreprises. 

➡️ L’approche de l’ISSB est dite « moins ambitieuse » pour deux raisons principales :

  • Les deux normes (IFRS 1 et IFRS 2) publiées par l’ISSB concernent uniquement des données climatiques ; 
  • Seule la matérialité financière est prise en compte, à la différence des ESRS basées sur la double matérialité (financière et d’impact).

Critiques et idées reçues sur l’approche européenne : analyse et décryptage

La matérialité financière d’une information est sanctionnée de façon claire sur les marchés, alors le volet non-économique de la double matérialité (ou matérialité d’impact) n’entraîne pas de sanction immédiate : les deux matérialités seraient donc incomparables.

Bien que moins « puissante », la matérialité d’impact est essentielle car :

  • Si elle ne dirige pas « fortement » les flux des marchés financiers, l’impact d’une entreprise sur son environnement, social ou naturel intéresse les investisseurs et comporte en cela des risques financiers. Plus le cadre du reporting sera ambitieux, plus l’impact dirigera le choix des investisseurs.
  • Elle fournira des informations aux entreprises sur les transformations à opérer pour garantir la durabilité de leur modèle d’affaires, en satisfaisant aux attentes de leurs parties prenantes.

La double matérialité produit une simple liste d’informations éclairant les parties prenantes, car il est impossible de renseigner précisément les impacts, notamment sur la biodiversité.

Si la méthodologie d’évaluation n’est en effet pas encore stabilisée, cela n’enlève rien à la pertinence de la double matérialité pour diriger les choix stratégiques. Il existe deux défis principaux :

  • La prise en compte des parties prenantes : élément clé de la future analyse de matérialité, les parties prenantes à identifier sont, d’une part, celles sur lesquelles les activités de l’entreprise ont un impact, et, d’autre part, les utilisateurs des rapports de durabilité (investisseurs, partenaires, syndicats, ONG…).
  • L’évaluation de la gravité de l’impact : celle-ci est relative à 3 champs : l’ampleur, la portée et le caractère irrémédiable de l’impact considéré.

Une norme extra-comptable ne peut conduire une entreprise à réduire ses émissions.

La CSRD, complémentée par les autres législations adoptées et/ou en cours d’adoption par l’Union européenne sur la durabilité des entreprises, conduira in fine les entreprises à s’aligner sur l’Accord de Paris. et cela pour deux raisons principales :

  • Elle comporte un caractère obligatoire, les entreprises étant obligées d’effectuer une évaluation de la matérialité certifiée par un auditeur (en France, le H3C va faire une proposition technique).
  • Sur le sujet spécifique des normes ESRS climatiques (qui sont proches des normes IFRS), la contrainte est encore plus forte, puisque si une entreprise conclut que le changement climatique n’est pas matériel, elle devra fournir une explication détaillée des conclusions de son analyse de matérialité.

Comme l’expliquait le Président de l’Efrag Patrick de Cambourg, “la transparence ne dicte pas les comportements, mais il est évident qu’elle les influence”.

En résumé 

Bien que la méthodologie de la matérialité d’impact soit loin d’être stabilisée, la pertinence de la double matérialité est loin d’être une illusion, au moins pour trois raisons :

  • Si la matérialité d’impact ne permet pas une comptabilisation exhaustive des impacts, elle est en mesure, malgré ses imperfections, d’orienter les transformations des entreprises ; 
  • L’existence d’un cadre obligeant les entreprises à s’interroger sur leur environnement (économique, social et naturel) et à interroger leurs parties prenantes est un premier pas, les méthodologies d’évaluation de l’impact s’amélioreront progressivement, notamment par la pratique ; 
  • Si la matérialité d’impact influence beaucoup moins les flux financiers, elle dirige tout de même le choix de beaucoup d’investisseurs, le marché étant de plus en plus attentif aux données ESG.

Le tableau suivant présente de façon simplifiée les avantages et inconvénients des deux cadres normatifs :

ESRS : European Sustainability Reporting Standards
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